If— in French
Si
- Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie
- Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
- Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties
- Sans un geste et sans un soupir ;
- Si tu peux être amant sans être fou d'amour,
- Si tu peux être fort sans cesser d'être tendre,
- Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
- Pourtant lutter et te défendre ;
-
- Si tu peux supporter d'entendre tes paroles
- Travesties par des gueux pour exciter des sots,
- Et d'entendre mentir sur toi leurs bouches folles
- Sans mentir toi-même d'un mot ;
- Si tu peux rester digne en étant populaire,
- Si tu peux rester peuple en conseillant les rois,
- Et si tu peux aimer tous tes amis en frère,
- Sans qu'aucun d'eux soit tout pour toi ;
-
- Si tu sais méditer, observer et connaître,
- Sans jamais devenir sceptique ou destructeur,
- Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
- Penser sans n'être qu'un penseur ;
- Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
- Si tu peux être brave et jamais imprudent,
- Si tu sais être bon, si tu sais être sage,
- Sans être moral ni pédant ;
-
- Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
- Et recevoir ces deux menteurs d'un même front,
- Si tu peux conserver ton courage et ta tête
- Quand tous les autres les perdront,
- Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
- Seront à tous jamais tes esclaves soumis,
- Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire
- Tu seras un homme, mon fils.
From:
Les silences du colonel Bramble by André Maurois, 1918.
Put to music by
Bernard Lavilliers in 1988 (although his lyrics are often attributed to Paul Eluard).
Appeared in:
Kipling: ‘Tu seras un homme mon fils’ suivi de ‘Lettres à son fils’, published by Mille et une nuits, 1998,
isbn 2-84205-332-X.
Si...
- Si tu restes ton maître alors qu'autour de toi
- Nul n'est resté le sien, et que chacun t'accuse ;
- Si tu peux te fier à toi quand tous en doutent,
- En faisant cependant sa part juste à leur doute ;
- Si tu sais patienter sans lasser ta patience,
- Si, sachant qu'on te ment, tu sais ne pas mentir ;
- Ou, sachant qu'on te hait, tu sais ne pas haïr,
- Sans avoir l'air trop bon ou paraître trop sage ;
-
- Si tu aimes rêver sans t'asservir au rêve ;
- Si, aimant la pensée, tu n'en fais pas ton but,
- Si tu peux affronter, et triomphe, et désastre,
- Et traiter en égaux ces deux traîtres égaux ;
- Si tu peux endurer de voir la vérité
- Que tu as proclamée, masquée et déformée
- Par les plus bas valets en pièges pour les sots,
- Si voyant s'écrouler l'œuvre qui fut ta vie,
- Tu peux la rebâtir de tes outils usés ;
-
- Si tu peux rassembler tout ce que tu conquis
- Mettre ce tout en jeu sur un seul coup de dés,
- Perdre et recommencer du point d'où tu partis
- Sans jamais dire un mot de ce qui fut perdu ;
- Si tu peux obliger ton cœur, tes nerfs, ta moelle
- À te servir encore quand ils ont cessé d'être,
- Si tu restes debout quand tout s'écroule en toi
- Sauf une volonté qui sait survivre à tout ;
-
- Si t'adressant aux foules tu gardes ta vertu ;
- Si, fréquentant les Rois, tu sais rester toi-même,
- Si ton plus cher ami, si ton pire ennemi
- Sont tous deux impuissants à te blesser au cœur,
- Si tout homme avec toi compte sans trop compter ;
- Si tu sais mettre en la minute inexorable
- Exactement pesées les soixante secondes
- Alors la tienne est tienne et tout ce qu'elle porte
- Et mieux encore tu seras un homme mon fils !
Tu seras un homme, mon fils
- Si tu peux rester calme alors que, sur ta route,
- Un chacun perd la tête, et met le blâme en toi ;
- Si tu gardes confiance alors que chacun doute,
- Mais sans leur en vouloir de leur manque de foi ;
- Si l'attente, pour toi, ne cause trop grand-peine :
- Si, entendant mentir, toi-même tu ne mens,
- Ou si, étant haï, tu ignores la haine,
- Sans avoir l'air trop bon ni parler trop sagement ;
-
- Si tu rêves,—sans faire des rêves ton pilastre ;
- Si tu penses,—sans faire de penser toute leçon ;
- Si tu sais rencontrer Triomphe ou bien Désastre,
- Et traiter ces trompeurs de la même façon ;
- Si tu peux supporter tes vérités bien nettes
- Tordues par des coquins pour mieux duper les sots,
- Ou voir tout ce qui fut ton but brisé en miettes,
- Et te baisser, pour prendre et trier les morceaux ;
-
- Si tu peux faire un tas de tous tes gains suprêmes
- Et le risquer à pile ou face,—en un seul coup—
- Et perdre—et repartir comme à tes débuts mêmes,
- Sans murmurer un mot de ta perte au va-tout ;
- Si tu forces ton cœur, tes nerfs, et ton jarret
- À servir à tes fins malgré leur abandon,
- Et que tu tiennes bon quand tout vient à l'arrêt,
- Hormis la Volonté qui ordonne : “Tiens bon !”
-
- Si tu vas dans la foule sans orgueil à tout rompre,
- Ou frayes avec les rois sans te croire un héros ;
- Si l'ami ni l'ennemi ne peuvent te corrompre ;
- Si tout homme, pour toi, compte, mais nul par trop ;
- Si tu sais bien remplir chaque minute implacable
- De soixante secondes de chemins accomplis,
- À toi sera la Terre et son bien délectable,
- Et,—bien mieux—tu sera un Homme, mon fils.
By Jules Castier, 1949.
Published in:
Kipling: ‘Tu seras un homme mon fils’ suivi de ‘Lettres à son fils’, published by Mille et une nuits, 1998,
isbn 2-84205-332-X.
Si...
- Si tu peux rester calme alors que tous tes proches
- Semblent perdre la tête et vouloir t'en blâmer,
- Si tu peux croire en toi face à tous leurs reproches
- Mais comprendre leur doute et toujours les aimer ;
- Si tu peux espérer sans te lasser d'attendre,
- Si tu ne sais mentir à ceux qui t'ont menti,
- Si celui qui te hait, tu ne peux le lui rendre,
- —Mais sans parler en Sage, ou sembler trop gentil ;
-
- Si tu rêves—mais sans que ton rêve t'envoûte,
- Si tu penses—mais non vers d'abstraites hauteurs,
- Et si tu sais passer de Triomphe en Déroute
- Sans te laisser berner par ces deux imposteurs ;
- Si tu peux supporter qu'un vil faquin dévie
- Le sens de tes propos pour abuser les sots,
- Ou voir briser ton œuvre et, penché sur ta vie,
- Avec de vieux outils assembler les morceaux ;
-
- Si tu peux risquer tous tes gains à pile ou face,
- Simple lot au hasard d'un seul coup suspendu,
- Tout perdre, et repartir de tes débuts, sans place
- En toi pour un soupir sur ton pari perdu ;
- Si tu forces ton cœur, tes nerfs, tes tendons, même
- Quand las de t'obéir ils s'en sont détournés,
- Et si ta Volonté, résistance suprême
- À ton vide total, leur dit toujours : “Tenez !”
-
- Si tu sais rester noble en parlant à la foule,
- Si tu sais rester simple en côtoyant les rois,
- Si pas plus que l'ami l'ennemi ne te foule,
- Si tout homme t'est cher mais nul n'a trop de poids ;
- Et si tu peux remplir la minute exigeante
- De secondes valant la course que tu fis,
- La Terre t'appartient et—leçon plus grisante :
- —Tu seras un Homme, mon fils !
Si...
- Si tu gardes ta tête quand la folie des autres,
- S'acharne contre toi et te couvre de fautes
- Si tu restes confiant, lorsqu'on doute de toi,
- Et te veux tolérant, car l'opprobre est sans foi...
- Si l'attente chez toi n'engendre aucun soupir
- Que jamais médisances ne t'entraînent à mentir,
- Ni qu'être détesté ne te force à haïr,
- Sans de la perfection vouloir être l'image,
- Ni d'aimer pérorer en imitant les sages...
-
- Si tu gardes tes rêves sans n'être qu'un rêveur,
- Évitant que penser devienne un but en soi...
- Si tu peux accueillir l'Échec ou le Succès,
- En faisant part égale à ces deux impostures
- Si tu peux supporter que ta parole vraie,
- Changée par des fripons serve aux sots de pâture,
- Si l'œuvre de ta vie s'écroulant devant toi,
- Tu ramasses aussitôt les morceaux sans rancœur,
- Saisis tes vieux outils, et reprends le labeur...
-
- Si tu peux mettre en jeu tout ce qui t'appartient,
- Et en risquer l'enjeu d'un coup de pile ou face,
- En ayant tout perdu, pourtant garder la face,
- Repartir à zéro, sans un mot, ni chagrin ;
- Si tu mets ton pouvoir, ton audace et ton cœur,
- À servir ta cause, jusqu'à la dernière heure,
- Ne pas abandonner quand plus rien ne subsiste,
- En toi, que ce Vouloir, cette voix qui insiste,
- Et qui te crie : “Tiens-bon ! gardes Force et Vigueur !”
-
- Si parlant à la foule, tu gardes ta droiture,
- Accompagne les rois en sachant d'où tu viens,
- D'amis ou d'ennemis, redoutes point l'injure...
- Si, plus qu'un seul être, pour toi compte l'humain,
- Et si face à ce temps à la fuite implacable,
- Tu fais à chaque instant ce dont tu es capable,
- Permettant que toujours tes travaux s'accomplissent,
- Avec tout ce qu'il offre, ce Monde sera Tien...
- Et, bien plus encore, tu seras un Homme, mon fils !
By Jean-François Bedel, translator, 2006.
Also at
serpsy.org.
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